Fondation d'entreprise Ricard / Mathieu Mercier
"TENIR DEBOUT"

26/11/2012
> Fondation d'entreprise Ricard


Photographies / Communiqué de presse

Fondation d'entreprise Ricard
Mathieu Mercier
"TENIR DEBOUT"


Rassemblant des pièces d'une assez grande diversité, Mathieu Mercier a su avec elles composer une exposition qui apporte un nouvel éclairage sur son travail. Les colonnes grises, qui captent d'abord l'attention, se sont rassemblées autour de l'unique colonne existante (coffrée et peinte de la même couleur) dont elles sapent l'autorité. Il s'agit en réalité de tuyaux en pvc dans tous les formats standard disponibles. Alors que la règle pour un exposant est plutôt d'ignorer ou de contourner l'obstacle qu'impose un bâtiment, l'artiste ici le démultiplie et engage une mise en jeu de l'architecture. C'est un rappel de la critique institutionnelle d'un Asher ou d'un Buren, mais qui prend la forme d'une image déréalisante plutôt que celle d'un manifeste ou d'un geste radical. L'illusionnisme premier s'accompagne d'une révélation du traitement du plafond par les architectes (un effet Beaubourg provoqué dans un appartement haussmannien), et donne à celui-ci une présence forte dans l'exposition à laquelle il est directement raccordé. Ces colonnes de fortune ont pour autre effet de faire ressortir la dimension architecturale du grand triptyque "photographique", sorte de fenêtres que divise une barre verticale.

La série des scans de Mathieu Mercier applique à la lettre l'exigence moderniste de transparence et d'autoréflexivité. Faute de feuilles posées sur elles, les vitres de ces scans ont saisi la partie visible de la machine agrémentée de motifs. Le triptyque qui révèle une écriture de poussière est un exemple glacé de photo-tableau à l'ère où la connaissance des ouvres d'art se fait autant sur tablette numérique ou en format jpeg que par expérience directe. Les deux faces de la vitre se rassemblent en un même plan de l'image, le regard de la machine est aussi un fond, et la photographie rejoint la radiographie. La photographie et, plus généralement, la fabrique des images, est d'ailleurs un des fils qui court à travers l'exposition.

Fabriquer une chemise pour habiller une structure apparentée à une architectones de Malevitch, faire ainsi apparaître une sorte de figure caricaturale, c'est, plus qu'étrange, légèrement dérangeant. L'architecture est, par ce biais, rapprochée du corps, mais cette façon de vêtir un idéal abstrait, symbole des utopies, peut aussi évoquer celle dont on apprête un disparu. Cette dernière idée serait en harmonie avec The Last Day Bed, lit de repos japonisant et tombe minimaliste. Si l'on ajoute à ces éléments, le chapeau-photo échappé en haut du mur, la fleur mauve doublement aplatie par le scan et la gamme pantone, on trouve dans cette salle, construite comme un jeu de lignes, la matière à une méditation sur les moments d'une vie d'homme et la fuite des heures. Au statisme et à l'austérité de cette première salle répond dans la deuxième un dynamisme qui emprunte au Constructivisme et à l'Op Art. C'est aussi le lieu des rencontres et des métamorphoses. Malgré cette apparente opposition, les renvois d'un espace à l'autre ne manquent pas: l'épais rouleau gris avachi dans un coin et les colonnes, la fleur et le réveil également soumis à un instrument de mesure, le chapeau à la trame déformée par l'objectif et les verres d'eau qui font bouger les lignes, le réveil et le Last Day Bed, la ceinture esquissant un anneau de Moebius et la structure chemisée, cette dernière et le relief mural librement inspiré des espaces proun d'El Lissitzky...

Sans titre (Cocotte) fixe la rencontre sur un plateau noir d'une authentique cocotte en papier et d'un papier plié en accordéon à la ressemblance d'un soufflet d'appareil de prises de vues; soufflet qui est légèrement plié, et dans une position de décentrement par rapport à l'axe d'un objectif imaginaire. Cette mise en scène évoque les petits théâtres d'objets futuristes ou ceux de Man Ray, mais ces deux pliages pourraient aussi avoir surgi d'un livre pop-up. Entre ce volume ouvert qui pourrait servir à fabriquer des images et cette feuille qui s'est animée, la relation est en suspens.

En construisant la rencontre d'un verre d'eau à moitié plein posé sur un plan de rayures horizontales, verticales ou obliques, et devant un fond de rayures obliques, l'artiste semble avoir davantage pour modèles les recueils d'expériences amusantes pour la jeunesse que l'expérimentation formelle des avant-gardes. Les motifs Op art, que l'on aime associer à une exploration, voire à un dérèglement, des sens, trouvent ainsi leur source dans une platitude de la vision, et dégagent un sentiment de gaieté morne. Un autre exemple simple de ces dérives est un papier découpé qui offre un exemple d'art construit ultra-orthodoxe, mais qui, par une légère différence chromatique produit un effet de loupe, une illusion. L'esprit reconnaît les aplats de couleur, la construction, mais l'oil s'obstine à y voir un grossissement.

La réussite d'un accrochage, fruit du calcul, de l'intuition ou de la découverte, ou des trois, tient pour partie à ces moments où des pièces isolées construisent ensemble leur propre espace, ou dialoguent. Trois baguettes de bois à section carrée pointent en étoile à partir du mur ; sur chacune d'elles est fixée une boule. Les trois boules sont de diamètre et de couleur distinctes et semblent suspendues dans leur mouvement .On est là entre l'art du constructeur et celui du jongleur. En résonance avec cette pièce, se trouve un bonhomme très stylisé, ses jambes faites d'un assemblage de tasseaux et reliées entre elles par un fil de fer gainé de rouge et tordu en boucle. Devant les jambes-tasseaux pliées, se trouve un bloc de plâtre creusé à la main qui repose sur deux autres tasseaux. Il s'agit du moulage d'un sac en plastique dont on reconnaît les plis. Au moment de la prise du plâtre, on a creusé à pleine main dans le sac. Les matériaux et les grands traits de la construction d'un corps suffisent à faire surgir une vision de l'atelier du sculpteur, celle d'un process ou bien d'un anéantissement. A ces jambes sans troncs, liées par un fil, à cette absence du corps, répond le vide de la ceinture. Cette coda à l'exposition est comme la version dynamique et burlesque de la structure en chemise.

Dans la façon de manifester les légers tremblements de la réalité, ou dans celle de se saisir des chefs d'ouvre du modernisme pour les faire parler, Mathieu Mercier aura rarement été si proche de l'esprit surréaliste. Les ouvres réunies ici offrent, plutôt qu'un parcours, un résumé de son activité par des sauts, des chocs, mais également des intervalles ouverts.

Patrick Javault, novembre 2012
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