Galerie Jousse Entreprise
Art-contemporain
Etui
Thomas Grünfeld

08/11/2014
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Photographies / Communiqué de presse

Etui
Thomas Grünfeld

Texte de Bettina Haiss

Le traitement que Thomas Grünfeld réserve aux objets n’est pas exclusivement formel ; il prend également en considération une fonctionnalité spécifique. Il se base ainsi souvent sur des pièces de mobilier, puis se réfère à des formes et matériaux conventionnels (liés à l’habitat et aux pratiques du design d’intérieur et de la décoration) et leur usage correspondant, ce qui implique aussi les connotations émotionnelles et symboliques (voire de prestige) présentes dans une esthétique ou un design particulier. Sur le plan de l’appropriation artistique et de l’abstraction, il recombine alors ces propriétés caractéristiques tout en conservant une lointaine ressemblance, une réminiscence d’une forme originelle, dont ce nouvel hybride dérive. Les sculptures ambiguës de Grünfeld aiguillonnent en permanence leur spectateur, le questionnant dans ses attentes et son vécu, de telle sorte qu’il se retrouve partagé entre des sentiments d’identification et d’aliénation. Dans sa déconstruction d’environnements familiers, Grünfeld adopte une attitude réductionniste, ramenant l’inventaire à des formes et matériaux de base simples, qu’il cite tout en les sortant de leur contexte avant de les replacer dans un autre.

Avec « Hau den Lukas », mailloche ou jeu de l’homme fort, Grünfeld s’emploie à l’association contre-nature d’un coussin en cuir avec un miroir rond cerclé d’un fin cadre de bois en les reliant par une barre de métal, évoquant ainsi de manière abstraite les jeux de force populaires des fêtes foraines tout en remplaçant le levier, la tour et la cloche, leurs composantes caractéristiques. La forme à laquelle il a abouti contenait les éléments de base d’une coiffeuse, puis elle a cédé la place à des systèmes plus complexes, réunissant jusqu’à 3 ou 4 tandems dans une prolifération ludique de combinaisons, ce qui lui permet de juxtaposer différentes versions de cet assemblage en termes de hauteur et de position. Ces variations évoquent un mélange entre une armoire et un buffet où on pourrait déposer quelque chose. Dans le même temps, les coussins colorés ressemblent aux cases d’une table de jeu et invitent à engager une partie. Or c’est précisément cette notion d’invitation que Grünfeld cherche à conférer à ses objets en leur attribuant des propriétés en apparence pratiques. Ces coussins sont disposés de telle manière qu’ils nous imposent presque de nous agenouiller et d’adopter une attitude de confession. En suscitant des sensations physiques parfois oppressives, Grünfeld rend la dimension psychologique incontournable. Il fait référence aux stations du chemin de croix et aux différentes formes de prière, qui requièrent parfois l’adoption de postures physiques déterminées, le tout sous la surveillance vigilante d’un miroir incliné. Les collages lisses et sans aspérités apparentes de Grünfeld ne révèlent pas leur nature disparate, hétérogène, au premier coup d’œil. Non, de prime abord, ils sont appréhendés comme des objets homogènes réalisés avec soin. Ce n’est que dans un second temps que le spectateur est frappé par la nature fausse et artificielle de ces formes hybrides. Il prend alors conscience du caractère « idiot » de ces détournements, qui au premier regard semblaient offrir de réelles possibilités d’usages pratiques, et leur totale absence d’utilité, leur dysfonctionnalité, lui saute à présent aux yeux. On pourrait donc considérer l’art de Grünfeld en termes de constructions incorrectes, mais éminemment esthétiques ou de designs défectueux.

Ces considérations valent également pour les deux « misfits » de l’exposition. Les croisements d’une oie canadienne avec un pingouin, d’une part, et d’un veau avec un bulldog, d’autre part, sont inconcevables du point de vue zoologique. Cependant, sur le plan anatomique, les différentes parties de leurs corps ont été assemblées avec minutie, ce qui aboutit malgré tout à un effet sculptural harmonieux. Bien que discordants, il émane de ces animaux imaginaires une grâce naturelle et ils semblent parfaitement à l’aise en dépit de leur apparence grotesque, leur posture exprimant une élégance sereine. Ces combinaisons, convaincantes d’un point de vue anatomique alors qu’elles reposent sur des contrastes saisissants, paraissent relativement normales malgré leur monstruosité. Elles se révèlent donc à la fois attirantes et répugnantes, si bien qu’elles provoquent presque immanquablement une réaction physique chez le spectateur.

Lorsqu’il nous présente ses « Eyes Paintings », Grünfeld nous offre des tableaux très éloignés du sens classique de ce terme. Il a étalé de la résine artificielle sur une surface en bois en forme d’œuf afin d’obtenir une couche régulière, lisse et au pouvoir réfléchissant élevé. Sur ce support monochromatique, il a ensuite disposé les yeux de différents animaux issus des verreries de Lauscha. Le tableau, qui est habituellement contemplé par le spectateur, semble à présent lui retourner son regard comme un miroir. La surface brillante, la forme et l’élément animal sont des éléments très éloignés de la peinture conventionnelle. Une fois encore, les catégories et leurs caractéristiques spécifiques sont déstabilisées, ce qui ouvre la voie à une nouvelle forme ambiguë.

Les « feutres » de Grünfeld sont également une réponse à la peinture conventionnelle. Des pièces de feutre aux couleurs contrastées assemblées de manière à composer une image y remplacent le médium classique de la peinture à l’huile.

Grünfeld plaque une texture douce, associée au confort d’un foyer, sur la notion commune de peinture. Dans le cadre de cette exposition, Grünfled franchit un pas supplémentaire en transformant le panneau bidimensionnel en un objet tridimensionnel. « Doggy », une créature féminine voluptueuse à quatre pattes, et « Belt Tree », une branche épurée à laquelle sont suspendues des ceintures, ont été réalisés sous la forme de paravents qui se dressent sur le sol tels des cloisons. Ici, les interprétations « feutre » de Grünfeld d’un « tableau » ou d’une « pièce de mobilier » se combinent et se croisent. Là encore, les abstractions auxquelles Grünfeld se livre à partir de « l’objet réel » brouillent les frontières entre art et design, ce qui permet l’émergence d’une gamme d’états intermédiaires.
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