« À vrai dire la meilleure arme contre le mythe c'est peut-être de le mythifier à son tour, c'est de produire un mythe artificiel : et ce mythe reconstitué sera une véritable mythologie. Puisque le mythe vole le langage, pourquoi ne pas voler le mythe ? »
[Roland Barthes, Le Mythe aujourd'hui]
L'exposition My Last Life construit une ambitieuse mise en intrigue autour du personnage conceptuel Herbé, double fictionnel de Roland Barthes. L'artiste belge Vincent Meessen applique ici à celui qui déclara la mort de l'auteur son propre projet mythologique : l'inversion qui veut que l'on ne reste pas producteur de son oeuvre mais que l'on en devienne son personnage. Explorant un terrain délaissé par la critique et les commentateurs, Meessen met en circulation de façon inédite les figures coloniales qui traversent les écrits mais aussi la vie de Barthes. Son grand-père Louis-Gustave Binger n'est-il pas cet explorateur qui offrit à la France la Côte-d'Ivoire ?
Et ces personnages qui hantent ses textes - de l'enfant de troupe africain saluant le drapeau français au blondinet Bichon, enfant-roi chez les nègres - ne seraient-ils pas au cour d'une familiarité secrète ?
Agençant film, documents, reproductions et citations, l'entreprise de l'artiste joue avec les codes de l'enquête documentaire pour mieux insinuer le doute par de légères translations - un mot dont l'un des sens désigne d'ailleurs l'opération de déplacement du corps ou des reliques d'un défunt. Vincent Meessen déploie ainsi une cosmographie où vivants et disparus se côtoient en tant qu'acteurs de récits cachés dans les contreforts de la grande Histoire. Avec cette première exposition individuelle en France, Vincent Meessen se fait le récitant d'une fable, celle de l'inextricable relation entre modernité et colonialité.
