Vingt mille jours sur terre propose une traversée, la traversée d’une oeuvre débutée il y a plus de trente ans dont la source est selon l’artiste, un film super 8 réalisé par son père, qui saisissait la petite fille qu’elle était se jetant en riant dans la neige. En choisissant de revisiter ce moment de son histoire personnelle et d’investir cet épisode anecdotique d’une dimension fondatrice, Nathalie Talec dessine la trajectoire d’une vie d’artiste et met en perspective son obsession pour le froid, la neige, la perception, dénominateurs communs d’une oeuvre incroyablement hybride dont l’exposition rétrospective vise à rendre compte.
Un visiteur pressé et inattentif pourrait croire qu’il traverse une exposition collective tant sont diverses les formes comme les esthétiques convoquées et explorées par Nathalie Talec dans Vingt mille jours sur terre. C’est que Nathalie Talec, artiste prolixe, est en réalité multiple. A l’instar d’un Kippenberger ou d’un Jeremy Deller, elle refuse de s’exprimer dans un style unique, reconnaissable au premier coup d’oeil. Elle choisit par ailleurs ses références aussi bien dans l’art, le kitsch ou le décoratif, toutes choses qu’elle fait entrer en collision conférant ainsi à son travail - qui se partage entre fictions et autofictions - une dimension onirique.
Vingt mille jours sur terre prolonge cette affirmation de multiplicité dans le parti pris muséographique : ainsi à la scénographie « classique» des premières salles, rassemblant des sculptures en biscuits de porcelaine produites dans les ateliers de la Manufacture de Sèvres, une installation « monumentale » en néon, des peintures et aquarelles, des objets décoratifs, des sculptures …s’oppose un espace « agité » où l’artiste revisite son travail depuis les origines et donne à voir la sédimentation qui s’est opérée au long cours à travers une profusion de reproductions, dessins, objets, notes, croquis, vidéos, performances,… : une salle qui se veut à l’image du cerveau de l’artiste et de son atelier tout à la fois, là où les recherches et concepts se construisent, là où le travail s’opère par la pratique et l’expérimentation.
Mais ce qui ressort plus encore de cette exposition, qui comme l’indique son titre témoigne d’une vie d’artiste dans sa globalité, c’est que pour Nathalie Talec, artiste tombée très tôt dans la neige, l’art est en soi une aventure, une prise de risques, une façon de se positionner et de s’orienter dans le monde, une forme de résistance et aussi un refuge. De tout cela, son oeuvre, qui prend prétexte du thème du froid et de l’expédition polaire, est en réalité la métaphore.
Estefanía Peñafiel Loaiza, à rebours
Les notions de mémoire et d’oubli, d’apparition et de disparition sont récurrentes dans le travail d’Estefanía Peñafiel Loaiza comme en témoigne oeuvreuses, qui sera inaugurée au même moment, une proposition de l’artiste pour une commande publique à Chalezeule – commune située à proximité de Besançon – visant à rendre hommage aux femmes que l’histoire oublie toujours à l’issue des conflits.
à rebours, son exposition au Frac, rassemblera notamment, au côté de l’oeuvre acquise par le Frac (cartographies 1. la crise de la dimension, 2010), une importante installation intitulée sans titre (figurants) commencée par l’artiste en 2009 et la vidéo compte à rebours (2005-2013).
sans titre (figurants) se compose de pages de journaux sur lesquelles l’artiste a gommé des silhouettes – celles de figurants de scène médiatiques qui n’en sont par nature ni le sujet ni l’objet. Ne demeure sur la page que leur silhouette fantomatique, leur aura. A proximité, des fioles numérotées à l’esthétique clinique conservent le résidu ou le précipité de chacun de ses gommages, comme la substantifique moelle de ces êtres sans consistance. Elles constituent une communauté, une émouvante foule d’anonymes. L’artiste joue ici du paradoxe pour conférer une identité à ces figurants, fut-elle numérique : c’est en effaçant l’image de ces humains « en marge », sur laquelle notre regard glisse d’ordinaire, qu’Estefanía leur redonne en creux une corporéité. C’est en les faisant disparaître qu’elle les révèle.
La vidéo intitulée compte à rebours est le fruit d’une captation qui s’est déroulée sur huit années. L’artiste a enregistré dans différents lieux le long et laborieux processus d’apprentissage tendant à maîtriser la lecture à l’envers des différentes Constitutions de l’Équateur, son pays d’origine. Le film d’une durée de 76 heures est à son tour diffusé à l’envers. Le spectateur assiste ainsi à une sorte de régression de l’oralité puisque le texte parfaitement compréhensible au début devient inintelligible au fur et à mesure que l’on avance (ou en réalité recule) dans le temps.
En s’attelant à l’improbable entreprise de donner corps et identité aux oubliés et aux insignifiants, en tentant d’inverser le cours du temps à des fins mémorielles, l’oeuvre d’Estefanía Peñafiel Loaiza est à la fois universelle et empathique.
The last silent movie est à la fois un mémorial et une sensibilisation à la perte irrémédiable que représente la disparition de la diversité linguistique et ainsi d’une multitude de cultures.