Né à Orange (New Jersey) en 1937, Robert Adams grandit dans le Wisconsin, puis dans le Colorado où il réside plus de trois décennies avant de s'installer en Oregon. Depuis ses débuts en photographie, au milieu des années 1960, Adams est considéré par beaucoup comme l'un des chroniqueurs les plus importants et les plus influents de l'Ouest américain.
L'exposition "Robert Adams : l'endroit où nous vivons" reflète l'intérêt ancien d'Adams pour la relation tragique entre l'homme et la nature ainsi que sa quête d'une lumière et d'une beauté rédemptrices au sein de paysages dégradés. Ses images se distinguent par leur économie et leur lucidité, mais aussi par un mélange de déploration et d'espoir. Avec plus de deux cent cinquante tirages choisis parmi vingt et une séries distinctes, cette rétrospective réunit pour la première fois les diverses facettes d'un corpus considérable. Composée et articulée en concertation avec le photographe lui-même, cette exposition offre un récit intime et cohérent de l'évolution de l'Ouest des États-Unis à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècles, mais aussi un regard stimulant sur la complexité et les contradictions de notre société contemporaine mondialisée.
Dans son travail, Robert Adams montre la façon dont les paysages grandioses de l'Ouest américain, déjà arpentés au XIXe siècle par des photographes comme Timothy O'Sullivan ou William Henry Jackson, ont été transformés par l'activité humaine. Adams a tenté d'offrir une apparente neutralité d'approche. Même les titres de ses images les apparentent au registre documentaire. Il est surtout connu pour ses photographies austères et nuancées de l'aménagement suburbain dans le Colorado de la fin des années 1960 et du début des années 1970, images remarquées pour la première fois grâce à un livre fondateur, The New West (1974). En 1975, Adams figurait dans une exposition qui fit date, "New Topographics".
Chacun des projets majeurs du photographe est représenté dans l'exposition, depuis ses premières images montrant les sobres constructions et monuments érigés par les anciens occupants de son Colorado natal jusqu'aux toutes dernières vues de forêts et d'oiseaux migrateurs prises dans le Nord-Ouest Pacifique. Parmi ses autres projets d'envergure présents, on trouve : From the Missouri West, vues lointaines sur des paysages majestueux témoignant de l'intervention humaine ; Our Lives and Our Children, portraits dune tendresse désarmante de gens ordinaires vaquant à leur quotidien à l'ombre d'une centrale nucléaire ; Los Angeles Spring, images d'un paradis jadis verdoyant, victime de la violence et de la pollution ; Listening to the River, vues lyriques et fragmentaires de localités rurales ou suburbaines du Colorado qui évoquent les plaisirs sensoriels de la marche à pied ; et West from thé Columbia et Turning Back, deux séries consacrées aux vestiges du patrimoine naturel du Nord-Ouest Pacifique où Adams réside désormais.
À travers son travail, Adams se livre à un plaidoyer saisissant en faveur d'une approche humaniste de la photographie tout en exhortant ses concitoyens à ouvrir les yeux sur les dégâts infligés à notre habitat collectif. Souvent sous-estimées, ces images remarquables ne tombent pourtant jamais dans la simplification de leurs sujets. Banales ou éclatantes, elles font une juste part à la complexité et aux contradictions de la vie moderne. Prises comme un tout, les photographies de cette exposition mettent en lumière les intentions du photographe : donner à voir la richesse esthétique de notre environnement naturel et nous rappeler à notre obligation citoyenne de le protéger, non seulement dans l'Ouest américain, mais aussi dans le monde entier.
De petit format (beaucoup n'excèdent pas 15 x 15 cm), les tirages précis que Robert Adams réalisent lui-même méritent un examen attentif, voire une immersion intime et contemplative. Les visiteurs seront guidés à travers l'exposition par de courts textes puisés parmi les écrits du photographe. L'influence de l'ouvre d'Adams s'est surtout exercée à travers ses publications, qui comptent plus de quarante monographies et constituent un outil indispensable de sa pratique créatrice. Une sélection de ces ouvrages sera présentée durant l'exposition et pourra être consultée sur des tables de lecture, occasion idéale pour le visiteur de comprendre l'usage magistral qu'Adams fait du livre de photographie comme support poétique à part entière.
Exposition produite par la Yale University Art Gallery, en partenariat avec le Jeu de Paume pour sa présentation à Paris.
Commissaires : Joshua Chuang, conservateur associé pour la photographie et les médias numériques, Yale University Art Gallery et Jock Reynolds, directeur Henry J. Heinz II, Yale University Art Gallery.
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Mathieu Pernot
La Traversée
Mathieu Pernot, né en 1970 à Fréjus, vit et travaille à Paris ; après des études d'histoire de l'art à la faculté de Grenoble, il entre à l'École nationale de la photographie d'Arles, d'où il sort diplômé en 1996. Son ouvre s'inscrit dans la démarche de la photographie documentaire mais en détourne les protocoles afin d'explorer des formules alternatives et de construire un récit à plusieurs voix. L'artiste procède soit par la réalisation de séries - parfois en résonance entre elles à travers personnages, chronologies ou thèmes -, soit par la rencontre avec des images d'archives. Dans tous les cas, ce nomadisme d'images et de sujets souligne son souhait d'éviter un récit de l'histoire à sens unique. Le déplacement perpétuel de ses images évoque donc une réalité qui est loin d'être figée ou immuable.
L'exposition du Jeu de Paume présente une sélection de séries réalisées par l'artiste au cours des vingt dernières années. Elle met en espace un nouveau montage faisant dialoguer des corpus d'images et d'objets et établit une forme de traversée dans son ouvre, jusqu'à sa dernière pièce, Le Feu, produite spécialement pour l'occasion.
Que ce soit par son propre travail de prise de vue, par l'appropriation de photographies ou d'autres types de documents d'archives, Mathieu Pernot interroge ainsi la diversité des modes de représentation et la notion d'usage du médium photographique. Ce travail dialectique d'enquêtes, de recueils, de récits, d'images photographiques est caractéristique de toute l'oeuvre de Mathieu Pernot.
L'idée de traversée, de déplacement et de passage, très présente dans son ouvre, est un élément récurrent de l'exposition présentée au Jeu de Paume. Elle s'incarne aussi bien dans la nature nomade et fragile des personnes photographiées - Tsiganes, migrants, etc. - que par la présence des mêmes individus au sein de corpus d'images différents. Ils deviennent ainsi comme des personnages traversés par ces histoires au fil du temps.
L'exposition "La Traversée" propose la mise en forme d'une histoire contemporaine incarnée par des personnages vivant à sa marge.
Elle s'ouvre sur la série "Photomatons", premier travail réalisé entre 1995 et 1997 avec des enfants gitans dans la commune d'Arles, pour s'achever sur leurs portraits pris en 2013 pour "La Traversée". Entre ces deux séries et au cour de l'exposition, on retrouve ces mêmes personnes, en 2001-2004, dans la série "Les Hurleurs". Sont également montrés des travaux liés à la question des migrations ("Les Migrants", "Giovanni","Les Cahiers afghans"), de l'urbanisme ("Le Grand Ensemble" incluant "Implosions", "Le Meilleur des mondes"," Les Témoins" ; "Les Fenêtres") et de l'enfermement ("Panoptique" et "Un camp pour les bohémiens") avec notamment la présentation de dessins ("Le Dernier Voyage") - réalisés en écho aux photographies.
Dans la série Le Feu, produite spécialement pour l'exposition, Mathieu Pernot remet en scène un rituel pratiqué chez les Roms qui consiste à faire brûler la caravane d'un défunt. En contre-champ de cette image d'incendie, il photographie des personnes (les mêmes que l'on trouve précédemment dans certaines séries présentées dans l'exposition) dont le visage est éclairé par la lumière de l'incendie.
COMMISSAIRES
Mathieu Pernot et Marta Gili
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Nika Autor.
Film d'actualités - l'actu est à nous
Satellite 7. Une proposition
de Natasa Petresin-Bachelez
Nika Autor s'intéresse à la production des images (notamment à leur montage, inspiré par les films propagandistes de gauche, les courts-métrages documentaires expérimentaux et les films d'actualités), à leur statut et au pouvoir, direct et indirect, qu'elles exercent sur leur temps et l'histoire. Dans ses travaux antérieurs, elle s'est livrée à une déconstruction critique du discours dominant sur les politiques d'asile politique et d'immigration en mettant en lumière les principes d'exclusion et les pratiques disciplinaires qui encadrent la situation sociale des demandeurs d'asile. En novembre 2013, elle reçoit le prix France Brenk attribué par l'association KINO! de Ljubljana (Slovénie), pour son ouvre Newsreel 55.
Pour son exposition "Film d'actualités - l'actu est à nous", présentée au Jeu de Paume, Nika Autor sonde l'héritage de la forme cinématographique du film d'actualités et suit les méandres historiques de ses métamorphoses jusqu'à aujourd'hui, à partir d'un travail sur un vécu obsédant : les changements radicaux provoqués par la dislocation de la Yougoslavie.
L'exposition présente Newsreel 55, dernière oeuvre collective en date de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden, ainsi qu'une sélection d'images documentaires issues des recherches de la plateforme artistique expérimentale Obzorniska Fronta (Front Actualités), qui se destine à la production sérielle de la presse filmée. La rencontre programmée à l'occasion de l'exposition constitue l'élément performatif et formateur de celle-ci.
Dans ce cadre, des critiques des théoriciens et des artistes présentent, sous forme de projections commentées, l'histoire hétérogène et complexe de la presse filmée yougoslave et deux films d'actualités récents produits par Obzorniska Fronta.
À travers les histoires et les sujets développés par ce collectif (histoire et dynamique économique de l'ancien pays commun, la Yougoslavie ; Maribor, ville de l'industrialisation/désindustrialisation ; la guerre des années 1990 ; la question de la lutte des classes aujourd'hui ; les mouvements illégaux/contestataires.), et la spécificité même des sujets abordés, l'exposition "Film d'actualités - l'actu est à nous" essaie de démontrer que l'on peut identifier, dans la sphère du mode de production capitaliste, certains traits communs et universels.
Newsreel 55 est un collage de citations, d'images d'archives et d'actualités relatives à la République fédérative socialiste de Yougoslavie, et tout particulièrement à Maribor, troisième ville industrielle de l'ancien pays. Par ces évocations, le film interroge les mutations sociales et politiques du XXe siècle qui ont forgé la dynamique économique, politique et sociale de cette ville. Maribor, ville occupée, ville industrialisée et désindustrialisée, marquée par l'effondrement de l'État yougoslave. Dans une démarche empathique, ces périodes sont représentées à travers le regard d'une génération qui a grandi au tournant de deux systèmes, ne pouvant être qu'un témoin silencieux de la montée du capitalisme dans toute sa dimension sinistre. Comment se servir de l'image, de son pouvoir et de ses effets pour soulever la question de la lutte des classes et de lui rendre son actualité ?
Newsreel 55 est une ouvre collective de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden.
Marko Bratina est philosophe et traducteur. Il vit et travaille à Ljubljana.
Jurij Meden est cinéaste, responsable des programmes de la cinémathèque slovène de Ljubljana et fondateur de la revue KINO!, consacrée à la théorie cinématographique, à la politique et à la poésie.
Ciril Oberstar, titulaire d'un master de philosophie, est corédacteur en chef du magazine culturel slovène Dialogi. Il vit et travaille à Ljubljana.
Née en 1982 à Maribor (Slovénie), Nika Autor vit et travaille à Ljubljana.