Très jeune, je voulais être peintre. J’y travaillais en solitaire entre les quatre murs d’une chambre de bonne ou sur le vif des rues de Paris et des campagnes environnantes. Quoi qu’il arrive, je passais le jeudi au Louvre comme d’autres préféraient les plaisirs du stade ou du bowling. Puis le doute s’est emparé de moi avec fureur. A mes yeux, il y avait trop d’art dans la peinture et pas assez de vérité. Seule l’approche de la vérité me semblait devoir être tentée.
Pour joindre l’acte à la parole, j’ai détruit tout ce que j’avais conservé, fait table rase des pinceaux et tubes de couleur, bien décidé à tirer un trait définitif sur mon rêve d’enfant. D’ailleurs, la littérature et la radio ont presque aussitôt pris le relais. Une nouvelle vie allait commencer même si, de temps à autre, à de rares moments je dois dire, la peinture se rappelait d’une manière ou d’une autre à mon souvenir.
Peut-être pour m’accommoder avec son fantôme, il m’est même arrivé de me donner l’illusion d’y revenir par des moyens détournés. Dans les années 90, par exemple, j’ai eu la folle idée d’ouvrir une galerie du côté de la Bastille, comme si j’avais voulu signer des œuvres dont je n’étais pourtant pas l’auteur. Heureusement, tout est très vite rentré dans l’ordre et la littérature et la radio ont repris leur place brièvement menacée.
Jusqu’au jour où, en 2014, venant de quitter définitivement la radio, j’ai osé franchir la porte d’une boutique de matériel pour artistes, à Montparnasse. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire du chargement avec lequel je suis ressorti. Très vite, je me suis jeté à l’eau. Une peinture en a appelé une autre, des séries se sont composées, et je me suis retrouvé pris dans un rythme d’enfer, une vraie addiction qui m’accapare du matin au soir comme si, un demi siècle plus tard, j’essayais de rattraper le temps perdu.