Résolument conceptuelle et juridique, cette approche critique, dans la droite ligne d’artistes comme Marcel Broodthaers ou Philippe Thomas, occupe cependant volontairement l’espace officiel de l’art, nécessaire terrain d’expérimentations, par la production d’œuvres suivant des protocoles et des systèmes de déclinaisons bien spécifiques.
Un cahier des charges est défini par le duo pour une recherche de l’artiste idéal, tels deux entrepreneurs en quête d’une société en faillite. Mais comment devenir propriétaire d’un artiste? L’objectif est d’acheter non pas l’être humain mais l’existence d’auteur de l’artiste: son auctorialité, c’est-à-dire statut et ses qualités d’auteur, sa puissance créatrice. «Pour parvenir à leurs fins, Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux ont dû recourir à quelques subterfuges contractuels et une hybridation astucieuse du droit d’auteur et de celui de la propriété industrielle» indique Raphaële Jeune.
L’artiste devient ainsi dans les faits une marque à promouvoir. Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux mettent le doigt ici sur une condition d’existence subie par bon nombre d’artistes engloutis par un marché de l’art aujourd’hui globalisé. Philippe Cazal, également édité par la maison d’édition en 1995 avec Factice, avait d’ailleurs envisagé la chose dès les années 1980 en commandant à l’agence Minium son logo éponyme. mfc-michèle didier s’intéresse décidément aux artistes de marque.
Les deux derniers épisodes ci-dessus mentionnés, celui de la réalisation du portrait officiel et de la cession du dessin de La signature, sont tous récents et correspondent à l’aboutissement du processus de transmission d’identité activé en 2011 par les artistes: l’exposition Identités rend compte de cela.
Identités présentera ainsi le dessin original de La signature de Ludovic Chemarin, pièce unique et précieuse. Avec ce dessin, dont Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux possèdent désormais le droit de reproduction, les deux artistes vont pouvoir renforcer leur appropriation de Ludovic Chemarin de façon significative et quasi absolue. Il est entendu que l’ensemble des œuvres conçues par l’artiste du temps de son activité, de 1998 à 2005, a été cédé avec la marque. Il est question de pouvoir maintenant poursuivre l’exploitation de la «puissance créatrice» de l’artiste en faillite.
Sera présenté en parallèle, un produit dérivé de la sculpture — un dessin préparatoire, genre très apprécié du marché de l’art, ici avec ironie, post-préparatoire et réalisé en numérique.