Problèmes de type grec
Yaïr Barelli, Eva Barto, Nicolas Boone, Jagna Ciuchta, Matthieu Clainchard, Yves Dimen, Annie Vigier et Franck Apertet (les gens d’Uterpan), Hedwig Houben, Un institut métaphorique, Pierre Joseph, Joachim Mogarra, Alexander Wolff
“Problèmes de type grec” est extrait d’une phrase que Jean-Luc Godard a eue pour justifier son absence au festival de Cannes en 2010 lors de la sortie de Film Socialisme : “Suite à des problèmes de type grec, je ne pourrai être votre obligé à Cannes. Avec le festival, j’irai jusqu’à la mort, mais je ne ferai pas un pas de plus. Amicalement. Jean-Luc Godard.”
On peut légitimement s’interroger sur ce que sont des “problèmes de type grec” et s’il en existe même de tels types. Au-delà de cette énigme, cette phrase comme ce titre font immédiatement écho à l’actualité politique de la Grèce. Dans cette perspective, des “problèmes type grec” évoquent la difficile équation des relations d’autonomie et de dépendance d’un pays vis-à-vis d’instances de décision extérieures, lorsque des cadres législatifs et économiques supranationaux construisent un système de contraintes qui mettent en péril la souveraineté d’un gouvernement. Plus largement, ils évoquent une situation limite de crise et de basculement imminent. Bien au-delà de leur actualité, les “problèmes de type grec” font aussi écho à ceux hérités de la philosophie grecque antique, ceux débattus dans l’agora, ce lieu idéal de rassemblement où s’expriment les idées politiques et s’exerce la citoyenneté, à condition d’appartenir au groupe et d’en parler la langue.
À l’échelle du centre d’art, ce titre relie l’exposition à des problématiques similaires d’autonomie et de dépendance, d’inclusion et d’exclusion dans ses relations aux artistes, au public et à sa propre structure institutionnelle. En effet, La Galerie est un équipement culturel municipal implanté dans le centre ville de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis. C’est également un lieu de travail quotidien composé d’une équipe associée à un certain nombre de missions de service public. Et avant tout, le centre d’art est un lieu où le public fait l’expérience des œuvres, où il rencontre des artistes et des auteurs au sens large. L’exposition prend en compte à la fois ce contexte urbain, la vie quotidienne de l’institution et ce rendez-vous singulier que représente l’expérience d’une œuvre. Reliant les problématiques artistiques à des dimensions affectives, sociales et culturelles, le centre d’art souhaite mener ici une réflexion et une expérience nouvelle dans ses relations aux artistes, à l’exposition, au public, à son environnement immédiat, à son identité, à ses missions et à son histoire.
Plus largement, il s’agit d’interroger comment, au sein de cadres institués - (rôles, fonctions, formats, missions… )-, s’expriment les voix singulières des artistes et des auteurs, ainsi que les voix de celles et ceux qui composent le centre d’art. Comment des positions imprévisibles font-elles des percées dans les différents modes d’exercice du pouvoir ? Comment se donnent-elles à voir ? Quelle influence ont-elles sur nos représentations ?
Les œuvres présentées sont d’une part des objets simples, légèrement transformés, déplacés ou détournés de leurs fonctions premières et qui demandent pour certains un soin quotidien : un vélo (Eva Barto), un rideau (Alexander Wolff), deux sculptures élémentaires posées sur un tapis (Hedwig Houben), un bouquet de fleurs (Joachim Mogarra), une table (Pierre Joseph), des tableaux géométriques abstraits, des socles (Matthieu Clainchard), des post-its notés de mots en masse (Un institut métaphorique)… Deux films à caractère documentaires jalonnent ces “problèmes de type grec” : un film usé par le temps, souvenir lointain d’un moment de l’histoire d’une mobilisation lors d’un défilé du 1er mai 1971 ou 72 (Yves Dymen) ; un autre film lui, arpente un quartier délabré de Johanesbourg et nous projette dans une forme d’anticipation plus pessimiste cette fois (Nicolas Boone).
Entre les deux, le temps de l’exposition est ponctué d’événements réguliers, gestes et prises de paroles qui impliquent le public comme l’équipe. 4 “Appels à Uchronistes” sont 4 infiltrations de l’espace public selon les gens d’Uterpan : 4 moments de suspension du jugement pour s’en remettre à une expérience simple de présence de soi au sein d’un environnement pourtant familier mais revisité. Sur un rythme hebdomadaire, l’équipe de La Galerie mettra en place des protocoles propices à redéfinir certaines manières de travailler avec notamment des séances d’Administrata yoga (Yaïr Barelli), des lectures à voix haute, des rendez-vous avec la directrice. Un institut métaphorique propose une réflexion sur les usages des métaphores communs aux langages de l’art et de la science. Jagna Ciuchta, artiste en résidence, testera nos critères de sélection des artistes et leurs possibles renégociations.
L’exposition ouvre un temps de transformation lente agissant sur nos réflexes et nos habitudes et annonce une tentative de déplacements.